Uni ou pas uni pour l’élection présidentielle de 2022 ?

Est-ce que la bonne stratégie pour la gauche ne serait justement pas de multiplier les candidatures à la présidentielle en 2022 ?

Octavien de Mehun
10 min readJul 18, 2021

Mélenchon a ouvert la parade en 2020, un an et demi avant l’élection. Les insoumis ont leur leader et espèrent déjà compter sur ces 7M de voix de 2017. Les communistes ont choisi de lâcher Mélenchon pour présenter un candidat authentiquement communiste. Roussel après avoir remis en cause les orientations de l’ancienne direction, est maintenant le candidat des jours heureux. Restait plus que les socialistes et les écolos. Pour les premiers, les médias font monter une candidature de la maire largement réélue Hidalgo, mais le paysage est encore trop brumeux dans les rangs socialistes où la séquence de 2017 n’est pas encore résolue en interne. Leur seule certitude, celle d’être encore le parti autour du quel la gauche se rassemble. Les écolos s’y voient déjà. Après avoir fait les meilleurs scores à gauche aux européennes, avoir percé dans toutes les grandes villes, acquises normalement au PS, et avoir fait entrer toute une nouvelle génération d’élus dans les conseils régionaux, les écolos se voient hégémonique à gauche. Cela attise les ambitions. D’autant plus dans un parti avec tant de tendances contradictoires. C’était un secret de Polichinelle, le candidat de la tendance libérale est Jadot, le candidat de la tendance eco-socialiste est Piolle et la candidate de la tendance eco-féministe est Rousseau. Dans cette gauche institutionnelle, au moins 4 mouvements souhaitent leur logo sur les bulletins de vote en 2022 pour l’élection présidentielle.

Que faire ?

Faut-il une candidature unique comme le presse les journalistes et chroniqueurs ? Faut-il une candidature unique d’arrière Mélenchon par l’Alliance Populaire comme le souhaite Mélenchon ? Faut-il un rassemblement des “écologistes et socialistes” d’arrière l’hypothétique candidature socialiste ? Faut-il une primaire “populaire” comme en 2017 ? Faut-il au contraire proposer des projets de société sur lequel les électeurs se positionneront indépendamment les uns des autres comme le fait Roussel ?

Une question de mathématique des électorats ?

A croire les journalistes de plateaux et les éditorialistes, c’est une question de mathématique pour gagner au second tour. Je préfère questionner l’Histoire. Mais l’Histoire ne nous aide pas vraiment à répondre. La gauche unie a gagné brillamment en 1936 avec un programme de Front Populaire. La gauche unie a perdu en 1965 à la présidentielle. La gauche désunie a perdu (avec un souvenir qui continue d’être fondateur de la pensé de l’union de la gauche au premier tour) en 2002, mais la gauche désunie a aussi gagné en 1981. Bref, il ne semble pas y avoir une question de mathématique. Le contexte et le climat semble être le catalyseur pour une victoire de la gauche.

Or, le climat n’est pas au réchauffement pour la gauche. La part de personne s’identifiant “de gauche” [1] tout comme la représentation de la gauche dans les médias [2] n’ont jamais été si basse, de l’ordre de 20%. Sur ce chiffre, beaucoup à gauche, (prêt de 70% de sensibilité de gauche) argumentent que la gauche n’aurait d’autre choix que de se représenter unie à l’ensemble des français pour gagner l’élection présidentielle. La seule manière d’éviter le duel mortifère que eux et les abstentionnistes ne veulent plus entre le centre droit et la droite radicale. C’est insensé pour moi. L’élection présidentielle, c’est avant tout une histoire de personne. Donc certes, avec la gauche unie derrière un seul nom, on espère agglomérer un électorat de gauche (de l’ordre de 20%) plus quelques voix opportunistes. Mais on reste loin d’une qualification. Pire encore, il y a bien des gauches irréconciliables, et vous ne ferez pas voter un électeur de Yannick Jadot pour Jean-Luc Mélechon, comme vous ne ferez pas un électeur du printemps républicain tendance vallsiste pour un communiste. Les 20% peuvent très bien devenir 10% en alimentant et/ou l’abstention ou l’adverse centriste ou de gauche révolutionnaire. Il est difficile de fédérer derrière un nom, surtout quand on sait que le pouvoir du président de la Ve république est grand et solitaire. Les communistes en ont fait les frais en 1981 avec un Mitterand qui n’a plus eu besoin de leur soutient une fois élu.

L’union de la gauche social-democrate ?

Les gens de gauche qui croient majoritairement à l’union de la gauche sont selon moi les mêmes qui croient à la social-démocratie et la réforme. Ils n’ont aucun remords à s’accorder sur un minima de mesures plutôt symbolique et appeler ça un “programme ambitieux de reformes sociales”. Un peu comme cette curieuse alliance PS-EELV de 2012 derrière Hollande qui n’a permis quelques avancées sociales consensuelles mais qui a permis à Hollande d’appliquer sa politique libérale, prémisse de Macron. Ce qui veulent l’union de la gauche ne sont pas à la hauteur des attentes sociales des français, ils ne sont pas à la hauteur de la nécessité du moment. Nous en faisons le constat à la suite du quinquennat de Hollande qui n’a pas avancé sur l’urgence climatique et a préparer la gilet jaunisation de la France. Mais alors, faut-il exclure toutes alliances ? Pour la présidentielle oui, car cette élection et le pouvoir qu’elle accorde est particulier. La présidence de la république corrompt et surtout isole l’homme qui occupe le poste. Au niveau local par contre, partout en France, de nombreuses alliances ont montré leur efficacité pour changer concrètement la vie des gens. Des communes de gauche ont réussi à mettre en place des politiques de progrès en accord avec l’environnement. Des tensions existent bien sûr entre les différentes composantes. Mais face aux attaques de la droite et des libéraux, la gauche peut travailler sur des projets concret de transformation. D’ailleurs, le matérialisme de Marx ne nous dit pas de partir des conditions concrètes du prolétariat pour établir une action politique vers le socialisme ?

Multiplier les porte-paroles à gauche

Il faut donc selon moi, multiplier les voix de gauche à l’élection présidentielle, les écolos, les insoumis, les hamonistes, les socialistes, les communistes, les radicaux, les laïcards. Il faut le faire, car même uni, nous ne pouvons pas gagner cette élection basée sur la figure providentielle. Cette figure, nous ne l’avons pas à gauche, d’ailleurs, Mitterand avant sa “normalisation” et sans un contexte géopolitique particulier n’aurait jamais été élu car même lui n’était pas une figure providentielle. Par contre, nous avons des points de vue à exprimer à gauche. Face à l’abstention massive (compréhensible) des citoyens, la diversité des programmes (sans le spectacle des candidatures) est peut-être donner envie d’autre chose même si je suis conscient de l’argument qui est “oui, mais dans ce cas, le jeu est fait d’avance puisqu’aucun de ces programmes de progrès ne sont capable d’arriver au second tour, alors pourquoi les gens iraient voter pour ne pas avoir un avis pris en compte”. La réponse est simple. Une élection présidentielle c’est surtout un processus de plusieurs mois durant lesquels des thèmes sont développés. Alors, développons les thèmes de la gauche, dans toutes leurs pluralités sans tomber dans les pièges de la droite. A la fin de la campagne, personne ne passera le premier tour, mais une idée des forces en présence sera faîte à l’échelle de chaque circonscriptions.

Viser une assemblée Verte-Rose-Rouge

Si tout se passe bien pour l’oligarchie, Macron est réélu. Les semaines qui suivront seront critique car elles doivent permettre à la gauche d’empêcher un gouvernement Castex II. Les différents thèmes de la gauche qui ont été développés pendant des mois permettront d’établir un programme commun, certes en un temps court, autour duquel une stratégie de conquête, circo par circo devra être menée. L’objectif étant, à minima d’empêcher une majorité en marche, mais avant tout de gagner un groupe de gauche puissant à l’Assemblée Nationale. La stratégie à avoir est la suivante : 1) Constituer une plateforme de propositions communes à tous les candidates du bloc de gauche; 2) Ne proposer qu’un seul candidat de gauche pour chaque circonscription.
Pour le 1), cette plateforme commune comprendra la liste des propositions de base concernant l’écologie, le social, la justice, la démocratie,… qui sont des préoccupations de toutes les forces de gauche mais aussi d’une bonne part de la population (Mélenchon aime à rappeler que 60% de la population est contre le recul de l’âge de départ de la retraite, 60% pour une réforme de la police,…). C’est sur cette plateforme commune de proposition, étroite peut-être que les forces de gauche et la peuple se rejoigent.
2) Dans chaque circonscription, il faudra choisir un candidat. En priorité, une personne venant de la société “civile” qui fait consensus entre les forces de gauche. Puis par député sortant s’il y en a. Puis par le parti arrivé en tête dans la circonscription. Enfin pour des questions de proportionnalité au niveau national entre les parties prenantes.

Les batailles multiple à mener

Partout, dans toutes les circonscription, le travail militant sera la clef de la victoire. Il ne faut pas sur-estimer une certaine “fatalité sociologique” selon laquelle des circonscriptions sont de droite et d’autres de gauche. Le sursaut de participation démocratique peu déjouer cette fatalité. Ruffin l’a fait en 2017 dans la Somme. La gauche ne perd que lorsqu’elle ne parle plus à ce peuple de travailleur et de précaire. C’est un peuple qui se demobilise dans les urnes car il sait qu’il n’a pas le pouvoir. Il est pourtant politisé. Il a la connaissance de ces conditions, de la condition des autres et savent qui sont responsable de la crise. Durant ce travail militant, la créativité, les groupes de quartiers et l’innovation démocratique, pragmatique avec le terrain sera une clef de la victoire. Une victoire individuelle, circonscription, par circonscription mais une victoire commune nationale car le néo-libéralisme trans-national autoritaire.

Après la victoire

A la victoire de ce bloc de gauche que l’on pourrait apparenter à la gauche plurielle de 1997 ou le front populaire de 1936, Macron serait obligé de travailler avec une opposition, absente en 2017. Devra-t-il pour autant nommer un Premier Ministre de centre-gauche et jouer la cohabitation ? Bien sûr sur le bloc des gauches obtient une majorité absolue, il n’aura d’autre choix institutionnel. Mais il est probable qu’il ne s’agisse que d’une majorité relative. Alors, Macron fera probablement alliance avec la droite au parlement, révélant son vrai visage de conservateur “cool”. Surtout, cette position mettrait en difficulté une droite qui a passé son temps a se démarquer d’un supposé macronisme. Plus que la capacité à gouverner de manière hégémonique en 2022, les partis de gauche doivent fragmenter, diviser et affaiblir et la droite pour permettre au mouvement citoyen de reprendre de la vigueur. Avec une opposition de gauche, forte et unie sur des points précis, écologie, sociale, démocratie, la droite sera forcer de s’unir pour gouverner. Une union sordide et instable qui déstabilisera un Macron isolé. Jusqu’à maintenant, le seul candidat naturel de la droite, c’est Macron. Pour descendre la droite, il faut descendre Macron. Le mandat 2022–2027 va être difficile pour lui. Le mouvement social, le changement climatique et l’instabilité parlementaire devrait révéler le Macron, président idiot.

Un contre-argument

Un argument majeur contre cette proposition est celle de l’urgence qui s’annonce. L’urgence climatique qui sous-tend un certains nombre d’autres urgences, celles sociales, géopolitiques ou économiques. Cette urgence climatique est là. Elle sera prégnante dans les années 2025. S’il y a urgence, il est normal de penser qu’il faut appliquer nos solutions à gauche et pas laisser cette responsabilité à une droite irresponsable. J’en appelle à un certains pragmatisme. La gauche a disparu du paysage médiatique, culturel et idéologique. La gauche ne veux plus rien dire, avant tout pour qui elle devrait être une inspiration. Et donc, la gauche, n’a pas l’assise populaire, culturel ou idéologique pour gouverner efficacement. Le succès du Front Populaire vient de ces assises, constitué de longue haleine, contre un ennemie objectif, l’extrême droite. Selon moi, il faut prendre son temps et constituer cette gauche puissante pour 2027, une gauche puissamment réformatrice, maintenant que l’on a en face l’impasse social-democrate, démontré par le mandat Hollande.

La primaire populaire

Enfin, un mot sur l’initiative de la primaire populaire. L’idée est de permettre à tous les citoyens de désigner un unique candidat (de gauche) sous une plateforme de 10 propositions[3] issus d’un groupe de réflexion citoyen. Cette idée entre en confrontation avec la mienne sur plusieurs point. La première est celle d’une candidature unique à gauche pour la présidentielle. La seconde est celle de la primaire, qui ne mobilise que les déjà votant (les primaires américaines nous le prouvent), elle ne résout pas le problème de la participation démocratique. La troisième est le représentativité des candidats, qui sont tous soit des politiciens de carrière, soit des petit-bourgeois aucunement représentatif. La quatrième chose est le consentement des candidats à soutenir la candidature retenue par 200.000 personnes sur internet, soit moins de 0.5% du corps électoral. Le cinquièmre, est le manque de structuration de ce genre d’initiative, pourra-t-elle soutenir efficacement son candidat sans argent, sans militant propre ? Enfin, les propositions, pour certaines ambitieuses, seront-elles seulement appliqué s’il n’y a pas un soutient culturel, idéologique et populaire (par exemple, pour la transition écologique de rupture) ?
Cette focalisation sur l’accès au pouvoir présidentiel sur un si court terme ne me semble pas sérieux. Par autant, je salue l’initiative qui cherche des solutions à l’impuissance politique de la gauche. Cette initiative politique issu de l’innovation des civic-tech comme primaire.org en 2017 me semble importante car elle alimente un imaginaire, surtout dans les milieux intellectuels bourgeois. Comme le disais Ruffin, pour faire gagner la gauche il faut faire l’alliance des prolos et des intellos. Donc, toute proposition sérieuse de prise de pouvoir par la gauche devra faire le pont entre les gilets jaunes et la primaire populaire en étant pragmatique vis-à-vis d’un contexte politique néolibéral.

— OdM, communiste.

Références

[1] https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2019/06/116XXX-Rapport-Atlantico.pdf
[2] https://www.liberation.fr/economie/medias/36-des-invites-politiques-de-cnews-sont-dextreme-droite-20210614_TP4X4N2KC5AHHHR7AH3ULWI6WU/
[3] https://primairepopulaire.fr/le-socle-commun/

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Written by Octavien de Mehun

Chercheur et Communiste. Sujets d’études: Réseaux informatiques, Philosophie onthologique et Politique, Linguistique, Physique théorique, Architecture.

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