Notes sur l’élection présidentielle à Taiwan

Octavien de Mehun
6 min readJan 13, 2024

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Il y a des années électorales à plus haut risque que d’autres et 2024 en fait partie. Il y a les élections américaines en fin d’année qui pourraient sonner le retour de la réaction, les legislatives indienne en Inde en Mai qui confirmeront le nationaliste Modi au pouvoir, la sans-surprise présidentielle russe en Mars. Cependant l’année débutera avec l’élection présidentielle à Taiwan du 13 Janvier. Elle revête d’un caractère particulier pour la sécurité mondiale au vu des évènements du dernier mandat (2020–2024) de la présidente sortante Tsai Ing-Wen (蔡英文). La présidente est issue du parti démocrate-progressiste (DPP) constitué en opposition à tout rapprochement avec la Chine continentale avec des factions franchement pro-américaines et anti-communistes et d’autres beaucoup plus libérales. Son dernier mandat a été marqué par un regain de tension dans le détroit de Taiwan. En Janvier 2019, le président Xi Jinping de la République Populaire de Chine a adressé une lettre ouverte à la petite île de réintégrer la nation chinoise sous la forme “d’une nation, deux systèmes, 一国两制” (comme Hong Kong, dans la ligné du consensus de 1992). Lettre à laquelle la présidente Tsai a répondu par la réaffirmation du statu quo actuel. Dans le même temps, elle a mené une diplomatie agressive pour assurer l’indépendance de l’île et empêcher tout rapprochement avec la Chine communiste. 2 évènements ont marqué l’actualité. En Août 2022, la visite de Nancy Pelosi, présidente de la chambre des représentants américain (3e personnage de l’Etat) sur l’île qui a relancé les exercices militaires de l’armée populaire de libération autour de l’île et regain des tensions sino-américaines (les plus importantes depuis les sanctions commerciales décrétés par l’administration Trump). En Avril 2023, la présidente Tsai a rencontré rep. McCarthy le nouveau président de la chambre sur le sol américain, ce que le gouvernement Xi a fermement condamné. Il faut bien comprendre que du point de vue du gouvernement légitime de la Chine, Taiwan est une région rebelle depuis la fondation de la RPC en 1949. Du point de vue de l’ONU, Taiwan n’est plus considéré comme le gouvernement légitime de la Chine depuis 1971 et seuls 12 pays reconnaissent encore Taiwan comme un Etat indépendant (surtout des îles du Pacifique). Depuis 10 ans, la Chine mène une bataille diplomatique et conclut des accords pour asseoir sa légitimité politique. Entre les deux rives du détroit, il y a bien une course au tonnage militaire et à la précision des missiles et des contre-missiles. Mais la vrai bataille n’est pas militaire, et ne le sera probablement pas. L’expérience russe en Ukraine et les difficultés stratégiques et tactiques rendent l’opération extrêmement difficile à mener. D’autant plus avec le soutient explicite de la Défense américaine à l’île, encore réitéré après les derniers exercices chinois. La vrai bataille est géopolitique et s’inscrit dans une opposition sino-américaine que les Etats-Unis théorisent et alimentent largement.

Taiwan est un de ces point chaud dont on se dit que le conflit mondiale peut démarrer. 2 exemples. Taiwan produit 90% des semi-conducteurs avancés dans le monde, un arrêt de la production est tout simplement l’arrêt de l’économie mondiale, un économie qui repose sur l’innovation technologique et les technologies de l’information (voir la diplomatie du silicium). Aussi, le détroit de Taiwan est l’un des plus fréquenté du monde par la marine marchande, il permet de relier les grandes villes industrielles de Tianjin, Qingdao et Shanghai à l’Europe. Large de seulement 150km et peu profond, une invasion de grande ampleur de la Chine continentale avec une riposte taïwanaises rendrait ce passage impraticable avec des conséquences graves pour l’économie et la stabilité mondiale. Comme pour le passage de la mer noir au début du conflit ukrainien, de nombreux pays dépendant des exportations chinoises se retrouveraient sans solutions d’approvisionnement. Même sans parler d’une invasion assez improbable à ce terme, un blocus de Taiwan serait un grand facteur déséquilibre mondial.

L’enjeu pour ces élections présidentielles est donc très important, surtout quand on les replace sur l’échiquier mondiale. Il y a 3 intérêts qui s’opposent. Le premier, américain, qui souhaite maintenir la Chine dans une forme d’impuissance pour garder le leadership dans cette région du monde. Le second, la Chine populaire qui a intérêt au retour de l’île dans la nation chinoise tant pour un intérêt idéologique, historique, que économique et géo-stratégique. Le dernier intérêt est celui de la population de Taïwan qui aspirent encore majoritairement au statu quo et à la paix dans le détroit. Cependant pour ce dernier point, depuis la guerre en Ukraine, les positions se radicalisent sur l’île, un peu comme en Ukraine en 2014 entre 3 positions. Les partisans du rapprochement souhaiteraient le plus rapidement possible converger vers la solution “Un Etat deux systèmes” même s’ils sont de moins en moins nombreux suite à la gestion des émeutes à Hong Kong. Il y a les partisans du statu quo et du dialogue dont la position de non-alignement est de plus en plus affirmée car ils considèrent que c’est le seul gage de paix. Enfin, les partisans de l’indépendance sont de plus en plus nombreux sur l’île. Probablement rassuré par l’assurance du gouvernement américain de soutenir l’île et par les opinions occidentales de plus en plus anti-chinoise. Ils seraient en passe d’être majoritaire. Les positions des candidats aux élections et les résultats seront alors très scrutés. 3 candidats s’affrontent pour la présidence. William Lai (DPP), vice-président sortant de Tsai, Hou Yu-Ih du Kuomintang (KMT), le parti historique de l’île et Ko Pen-Je du Taiwan People’s party (TPP), un parti populiste porté par le maire de Taipei, la capitale.
La lutte contre le chômage des jeunes, les inégalités, les prix de l’immobilier, la fiscalité sont des thèmes important de la campagne, mais la position vis-à-vis de la Chine est souvent un des principaux facteurs de clivage. Le DPP a décidé de présenter un candidat dans la ligné de Tsai, un candidat plutôt modéré sur l’indépendance et qui souhaite surtout le statu quo et la protection américaine pour faire vivre le modèle libéral taïwanais. Le KMT qui est souvent accusé de vouloir la solution à 1 Etat est en réalité partisan du consensus de 1992 et d’un rapprochement tout en préservant le statut de Taiwan, ce que Hou rappelle sous le nom de “3 Ds” : Défense, Dialogue, De-escalation”. Le TPP est beaucoup plus ambigu sur son rapport à la Chine même si Ko aime se dire le candidat le plus en faveur au dialogue avec Pékin car “c’est mieux d’être en famille que ennemie”. D’ailleurs, les Etats-Unis ont accusé Pekin de financer Ko pour déstabiliser la démocratie, ce à quoi Pékin a répondu en accusant les Etats-Unis d’interférer dans les élections à Taiwan pour favoriser le mouvement indépendantiste. Il est vrai que le DPP, dont la position est modéré quoi que pro-américaine, est bien parti pour gagner les élections. D’autant que le camp le plus pro-Pékin composé du KMT et du TPP n’ont pas réussi à s’entendre pour un ticket commun. Les accusations partent de tout les côtés. Ca sera un scrutin sous tension tant au niveau local qu’au niveau de la région Pacifique. Mais en même temps une élection qui ne changera pas fondamentalement les rapports dans le détroit, et dans la relation sino-américaine. KMT ou DPP, les marges de manoeuvres semblent limitées pour l’île, suspendu aux décisions de Pékin et aux aléas de l’élection américaine de Novembre.

Au delà de ces élections, ceux sont les sociétés qui évoluent, celles taïwanaise, chinoise et occidentales surtout. La jeune génération taïwanaise se divisent sur la question de l’indépendance ou du statu quo sans pour autant en faire une priorité, celles de du travail, de la vie chère et de l’immobilier sont beaucoup plus décisives. La jeune génération chinoise n’est pas prête à se battre pour Taiwan. Depuis la guerre en Ukraine, une partie de la jeune génération occidentale, souvent universitaire et urbaine, prend positions contre les “dictatures” russe et chinoise, pour la démocratie, dont celles taïwanaise et hong-kongaise… Mais ce qui paraît commun à toutes ces sociétés, c’est un refus de la guerre.

~Flavien Ronteix.

Quelques sources:

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/affaires-etrangeres/taiwan-elections-sous-pression-2203303
https://www.crisisgroup.org/asia/north-east-asia/taiwan-strait/implications-taiwans-presidential-election-cross-strait

https://english.news.cn/20231213/dd25a1ad2f2640a8897cad9de72bbd0b/c.html “Mainland urges U.S. to stop intervening in Taiwan regional election”
https://www.politico.eu/newsletter/china-watcher/taiwans-election-heats-up-as-do-beijings-warnings/
https://www.brookings.edu/articles/explaining-taiwans-2024-presidential-election/

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Octavien de Mehun
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Written by Octavien de Mehun

Chercheur et Communiste. Sujets d’études: Réseaux informatiques, Philosophie onthologique et Politique, Linguistique, Physique théorique, Architecture.

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