La véritable startup nation

ou la E-Society à l’Européenne

Octavien de Mehun
7 min readApr 21, 2019

A en écouter nos dirigeants, la France serait la nation des entrepreneurs, de l’innovation et du numérique en Europe. La French Tech et les dernières législations sur le numérique en sont témoins. Je ne le pense pas. Par ce titre donc, d’aucuns penseront qu’il est question des Etats-Unis ou de la Chine dans cet article. En réalité, c’est d’un petit pays d’Europe dont je vais parler, l’Estonie.

Au nord de l’Union Européenne, bordé par la Baltique, face à la Finlande, frontalier de la Russie, ce pays, souvent sous domination étrangère est de nouveau indépendant depuis 1991. A l’indépendance, dû au retard économique pris durant la période soviétique et avec l’aide du grand frère finlandais, le pays se lance à corps perdu dans la révolution numérique (pour rappel, le Web c’est aussi en 1991).
En 2019, l’Estonie est LA première e-society d’Europe, sûrement aidé par une faible démographie à peine 1.3M d’habitants et des universités de bon niveau comme à Tartu ou Tallinn. La “e-estonia” aujourd’hui c’est, 99% des services publics en ligne, c’est la e-Residency, le e-voting, la e-governance,… et surtout la e-identité.
J’ai eu la chance grâce au programme Erasmus d’aller sur place pendant un semestre pour me rendre compte au quotidien de ce qu’est la société digitale et comment ça fonctionne.

Tout commence pour l’utilisateur par l’élément clef du système, la carte d’identité. En France, on a la désagréable sensation que la carte d’identité prend trop de place et ne sert à rien à part avoir honte d’une photo vieillie par le temps… a l’inverse, j’ai eu l’impression de ne plus pouvoir me passer de la carte d’identité estonienne ! (en plus, elle a la taille d’une carte bleue et est très jolie).
Couplée à un lecteur de carte et un logiciel sur son ordinateur, elle fournie un moyen d’authentification à différents services publics et privés mais aussi une signature numérique reconnue !
Un passage à la mairie, un passage à la police et l’on reçoit ce fameux sésame. Ma première action a été de la lier avec mon titre de transport public. Par 2 clics et le code PIN, j’avais désormais les transports gratuits et surtout la possibilité de le valider avec le RFID de l’ID ! (une carte de moins…)
Ensuite, l’université. En enregistrant la carte, pareil, avec 2 clics, j’avais désormais accès à tous les moodles de cours sans avoir à me rappeler de mots de passe… mais aussi me connecter aux sessions Windows et accéder aux salles de cours sans badge !
Que faire en plus avec cette carte magique ? Pourquoi pas imprimer des documents ? avec le système printincity.ee imprimer devient très simple, un peu partout en ville, à l’université, des imprimantes/scanneurs sont accessible avec la carte d’identité. Depuis une interface web à laquelle on se connecte avec toujours avec l’ID, l’on peu envoyer l’impression des documents et payer en ligne, même pour quelques centimes ! Plus de prise de tête à savoir où et comment imprimer…
Je pourrais continuer ainsi longtemps. Mais comment tous ces services hétéroclites arrivent-ils à être super-interconnecté ainsi ? La réponse, le système X-Road.

X-Road, c’est la colonne vertébrale de la e-estonia. Depuis 2001, c’est ce réseau qui permet l’interconnexion et l’interopérabilité entre tous les services estoniens. Aujourd’hui c’est près de 900 services qui sont connectés, les banques, la police, les télécoms, les réseaux énergétiques, l’état civil, printin city,… et c’est 2 millions de transactions… chaque jour ! (pour rappel, il n’y a que 1.3M d’Estonien). Ce service est tellement innovant et efficace qu’il a été exporté en Finlande, en Azerbaïdjan, aux Féroé et plusieurs “grand” pays s’y intéressent, notamment la Suède.

Ce système permet d’envisager la E-society. Une société où tous les services seraient numériques et où, débarrassé de la gouvernance version XXème siècle, tous les citoyens auraient accès à tous les services tous le temps et simplement. Combien ont eu peur de devoir envoyer des documents par le Poste où pire devoir se rendre à l’administration en question ? La E-society estonienne est en passe de balayer ces peurs avec 99% des services publics sur Internet, avec simplement son ID. Aujourd’hui, seuls l’achat d’une maison, le mariage et la déclaration de naissance nécessitent encore du papier… Mais plus pour longtemps, en 2019, la naissance d’un enfant se fera par le portail du gouvernement, 2020 se sera les mariages et vraisemblablement en 2021 pour l’accès à la propriété.

Pourquoi ne pas voter en ligne alors ? Et bien oui, depuis 2005 les estoniens e-votent le Dimanche aux élections générales, et à voire les statistiques des dernières du 3 mars 2019, les estoniens aiment cette possibilité offerte avec 44% de e-votants. Le E-vote démocratique, c’est l’avènement du E-State et de la E-Governance. Tous les systèmes régaliens sont numériques (les taxes, la législation,…) et surtout le Riikigoku (l’Assemblée Nationale) et le gouvernement se basent sur des chiffres remontés en quasi temps-réel par les différents systèmes, comme le PIB, les salaires, les demandes de prestations sociales… pour prendre les meilleurs décisions. Avec l’arrivée de l’IoT (très en vogue à l’université), on pourra imaginer un état omniscient capable de prendre toutes les décisions en connaissance de cause…
J’ai été assez étonné de rencontrer le nombre d’étudiant de partout à travers le monde venant étudier la E-governance à Taltech ! Peut-être que dans 20 ans on entendra parler de l’Estonie plus souvent dans le monde, grâce à leur modèle de gouvernance étatique à l’ère du numérique…

En réalité, on entend déjà parler de l’Estonie dans le monde des “technos” tout simplement car ils ont inventé en 2014… La nation digitale avec la E-Residency !
Pour 100€, quelques documents et un scan d’un passeport vous pouvez devenir E-resident estonien. C’est-à-dire que vous allez recevoir une carte d’identité qui permet ensuite d’accéder à tous les services numériques estonien vu précédemment (par exemple ouvrir un compte bancaire…) mais aussi avoir une identité numérique avec signature, certificat,…
Pour les free-lancer, les startupers, les nomades digitaux, c’est tout simplement génial ! Ils sont 44.000 dans plus de 150 pays avec un boost ces derniers mois avec le Brexit, où moult startup et entrepreneurs britanniques sont devenus “e-resident” estonien pour pouvoir continuer à travailler avec leurs partenaires européens.

Le titre de cet article est “La véritable startup nation” et je ne l’ai pas oublié. Pour moi, une “startup nation” doit proposer les flexibilités nécessaires à la gestion de son entreprise, un environnement transparent et stable, des démarches administratives simples et l’accès à un marché important.
L’Estonie et surtout la E-residency coche toutes les cases, gestion de son entreprise depuis n’importe où dans le monde, gouvernement stable et transparent, accès au marché européen en euro et surtout, les démarches pour fonder une startup se font en 15mn en ligne et toute la gestion se passe sur un site! (une pensée aux habitués de l’Urssaf)
L’Estonie est le deuxième pays d’Europe en nombre de startup par habitant en 2017 juste derrière l’Islande avec 31 pour 100.000. Parmi elles, Taxify (200M€), Transferwise (500M€) et surtout une petite compagnie rachetée par Microsoft depuis… Skype !
La voici la startup Nation d’Europe !

Bien entendu, Un pays si connecté avec un voisin si puissant, il n’aura pas fallu attendre 2007 pour que le pays soit paralysé pendant 3 jours par une cyber-attaque massive (officiellement, personne n’a revendiqué l’attaque, mais les experts estiment que ceux sont des groupes de hackers nationalistes russes).
En réponse, l’Estonie a renforcé sa résilience, sa sécurité avec de nouvelles technologies (la blockchain depuis 2016 pour les certificats) et surtout a développé, en collaboration avec l’OTAN, un centre d’excellence en cybersécurité (CCDCOE) pour se défendre. On y trouve des américains, des finlandais, des danois, des estoniens,… mais aussi des japonais et des français !
Avec le système estonien et leur ambition, croyez moi il y a du travail mais cette cyber-expertise pourrait devenir un atout de plus pour le pays !

Le futur est numérique. Toute la classe politique de tous les bords, sont très enthousiastes par la e-estonia. La présidente estonienne, Kersti Kaljulaid (parfaite francophone) donne des conférences partout dans le monde pour promouvoir le modèle Estonien. J’ai eu la chance d’interroger un membre du parti qui était au pouvoir jusqu’à très récemment et il m’a confirmer que l’Estonie, après avoir fêté ces 100 ans l’an dernier, se dirige plus que jamais vers un pays totalement numérique avec 4 axes importants de recherche, la robotique pour pallier à la diminution de la population, la blockchain pour augmenter la transparence et la sécurité des données, l’IoT (Internet of Things) pour recueillir des données et enfin l’IA (Intelligence Artificielle) pour participer à une meilleure gouvernance.

Cet article aurait pu être une pub financé par le gouvernement estonien pour aider à lancer l’association. En réalité j’aurais aimé mais malheureusement non, ils n’en ont pas besoin. Ce petit pays fait de plus en plus de bruit en Europe en fournissant un vrai laboratoire de la société numérique à l’Européenne ! A l’heure où les USA avec ses GAFAM proposent une e-society gouvernée par de grand groupes privés et où la Chine impose une société entièrement numérique sous la coupe d’un gouvernement autoritaire, les exemples comme l’Estonie sont à observer de près si l’on veut un futur numérique et teinté des valeurs d’humanisme et de démocratie à l’européenne.
Je vais laisser les derniers mots à la présidente estonienne, K. Kaljulaid (prononcés à l’ENA, en français, en février 2019).

“Je suis Estonienne, pas Balte. C’est comme au Benelux : les habitants des trois pays qui le composent ne disent pas qu’ils sont bénéluxiens. Mais je suis européenne. […] Je ne comprends pas qu’aujourd’hui certaines personnes trouvent toujours le papier plus sûr. Je suis fière que chaque Estonien bénéficie d’une identité numérique sécurisé, d’une signature électronique protégée et de courriels cryptés.”

Merci d’avoir lu ce post ! lõpp,

— FRJ

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Octavien de Mehun
Octavien de Mehun

Written by Octavien de Mehun

Chercheur et Communiste. Sujets d’études: Réseaux informatiques, Philosophie onthologique et Politique, Linguistique, Physique théorique, Architecture.

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